The Project Gutenberg EBook of Les Heures Claires, by Emile Verhaeren
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Title: Les Heures Claires
Author: Emile Verhaeren
Release Date: January 11, 2004 [EBook #10061]
Language: French
Character set encoding: ISO Latin-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES HEURES CLAIRES ***
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Em. Verhaeren
Les heures claires
1896
O la splendeur de notre joie,
Tissêe en or dans l'air de soie !
Voici la maison douce et son pignon lêger,
Et le jardin et le verger.
Voici le banc, sous les pommiers
D'où s'effeuille le printemps blanc,
A pêtales frôlants et lents.
Voici des vols de lumineux ramiers
Plânant, ainsi que des prêsages,
Dans le ciel clair du paysage.
Voici -- pareils à des baisers tombês sur terre
De la bouche du frêle azur --
Deux bleus êtangs simples et purs,
Bordês naïvement de fleurs involontaires.
O la splendeur de notre joie et de nous-mêmes,
En ce jardin où nous vivons de nos emblèmes !
Là-bas, de lentes formes passent,
Sont-ce nos deux âmes qui se dêlassent,
Au long des bois et des terrasses ?
Sont-ce tes seins, sont-ce tes yeux
Ces deux fleurs d'or harmonieux ?
Et ces herbes -- on dirait des plumages
Mouillês dans la source qu'ils plissent --
Sont-ce tes cheveux frais et lisses ?
Certes, aucun abri ne vaut le clair verger,
Ni la maison au toit lêger,
Ni ce jardin, où le ciel trame
Ce climat cher à nos deux âmes.
Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux,
Ce jardin clair où nous passons silencieux,
C'est plus encore en nous que se fêconde
Le plus joyeux et le plus doux jardin du monde.
Car nous vivons toutes les fleurs,
Toutes les herbes, toutes les palmes
En nos rires et en nos pleurs
De bonheur pur et calme.
Car nous vivons toutes les transparences
De l'êtang bleu qui reflète l'exubêrance
Des roses d'or et des grands lys vermeils :
Bouches et lèvres de soleil.
Car nous vivons toute la joie
Dardêe en cris de fête et de printemps,
En nos aveux, où se côtoient
Les mots fervents et exaltants.
Oh ! dis, c'est bien en nous que se fêconde
Le plus joyeux et clair jardin du monde.
Ce chapiteau barbare, où des monstres se tordent,
Soudês entre eux, à coups de griffes et de dents,
En un tumulte fou de sang, de cris ardents,
De blessures et de gueules qui s'entre-mordent,
C'êtait moi-même, avant que tu fusses la mienne,
O toi la neuve, ô toi l'ancienne !
Qui vins à moi des loins d'êternitê,
Avec, entre tes mains, l'ardeur et la bontê.
Je sens en toi les mêmes choses très profondes
Qu'en moi-même dormir
Et notre soif de souvenir
Boire l'êcho, où nos passês se correspondent.
Nos yeux ont dû pleurer aux mêmes heures,
Sans le savoir, pendant l'enfance :
Avoir mêmes effrois, mêmes bonheurs,
Mêmes êclairs de confiance :
Car je te suis liê par l'inconnu
Qui me fixait, jadis au fond des avenues
Par où passait ma vie aventurière,
Et, certes, si j'avais regardê mieux,
J'aurais pu voir s'ouvrir tes yeux
Depuis longtemps en ses paupières.
Le ciel en nuit s'est dêpliê
Et la lune semble veiller
Sur le silence endormi.
Tout est si pur et clair,
Tout est si pur et si pâle dans l'air
Et sur les lacs du paysage ami,
Qu'elle angoisse, la goutte d'eau
Qui tombe d'un roseau
Et tinte et puis se tait dans l'eau.
Mais j'ai tes mains entre les miennes
Et tes yeux sûrs, qui me retiennent,
De leurs ferveurs, si doucement ;
Et je te sens si bien en paix de toute chose,
Que rien, pas même un fugitif soupèon de crainte,
Ne troublera, fût-ce un moment,
La confiance sainte
Qui dort en nous comme un enfant repose.
Chaque heure, où je pense à ta bontê
Si simplement profonde,
Je me confonds en prières vers toi.
Je suis venu si tard
Vers la douceur de ton regard
Et de si loin, vers tes deux mains tendues,
Tranquillement, par à travers les êtendues !
J'avais en moi tant de rouille tenace
Qui me rongeait, à dents rapaces,
La confiance ;
J'êtais si lourd, j'êtais si las,
J'êtais si vieux de mêfiance,
J'êtais si lourd, j'êtais si las
Du vain chemin de tous mes pas.
Je mêritais si peu la merveilleuse joie
De voir tes pieds illuminer ma voie,
Que j'en reste tremblant encore et presqu'en pleurs,
Et humble, à tout jamais, en face du bonheur.
Tu arbores parfois cette grâce bênigne
Du matinal jardin tranquille et sinueux
Qui dêroule, là-bas, parmi les lointains bleus,
Ses doux chemins courbês en cols de cygne.
Et, d'autres fois, tu m'es le frisson clair
Du vent rapide et miroitant
Qui passe, avec ses doigts d'êclair,
Dans les crins d'eau de l'êtang blanc.
Au bon toucher de tes deux mains,
Je sens comme des feuilles
Me doucement frôler ;
Que midi brûle le jardin.
Les ombres, aussitôt recueillent
Les paroles chères dont ton être a tremblê.
Chaque moment me semble, grâce à toi,
Passer ainsi divinement en moi.
Aussi, quand l'heure vient de la nuit blême,
Où tu te cèles en toi-même,
En refermant les yeux,
Sens-tu mon doux regard dêvotieux,
Plus humble et long qu'une prière,
Remercier le tien sous tes closes paupières ?
Oh ! laisse frapper à la porte
La main qui passe avec ses doigts futiles ;
Notre heure est si unique, et le reste qu'importe,
Le reste, avec ses doigts futiles.
Laisse passer, par le chemin,
La triste et fatigante joie,
Avec ses crêcelles en mains.
Laisse monter, laisse bruire
Et s'en aller le rire ;
Laisse passer la foule et ses milliers de voix.
L'instant est si beau de lumière,
Dans le jardin, autour de nous,
L'instant est si rare de lumière trêmière,
Dans notre cœur, au fond de nous.
Tout nous prêche de n'attendre plus rien
De ce qui vient ou passe,
Avec des chansons lasses
Et des bras las par les chemins.
Et de rester les doux qui bênissons le jour.
Même devant la nuit d'ombre barricadêe,
Aimant en nous, par dessus tout, l'idêe
Que bellement nous nous faisons de notre amour.
Comme aux âges naïfs, je t'ai donnê mon cœur,
Ainsi qu'une ample fleur
Qui s'ouvre, au clair de la rosêe ;
Entre ses plis frêles, ma bouche s'est posêe.
La fleur, je la cueillis au prê des fleurs en flamme ;
Ne lui dis rien : car la parole entre nous deux
Serait banale, et tous les mots sont hasardeux.
C'est à travers les yeux que l'âme êcoute une âme.
La fleur qui est mon cœur et mon aveu,
Tout simplement, à tes lèvres confie
Qu'elle est loyale et claire et bonne, et qu'on se fie
Au vierge amour, comme un enfant se fie à Dieu.
Laissons l'esprit fleurir sur les collines,
En de capricieux chemins de vanitê ;
Et faisons simple accueil à la sincêritê
Qui tient nos deux cœurs clairs, en ses mains cristallines ;
Et rien n'est beau comme une confession d'âmes,
L'une à l'autre, le soir, lorsque la flamme
Des incomptables diamants
Brûle, comme autant d'yeux
Silencieux,
Le silence des firmaments.
Le printemps jeune et bênêvole
Qui vêt le jardin de beautê
Elucide nos voix et nos paroles
Et les trempe dans sa limpiditê.
La brise et les lèvres des feuilles
Babillent -- et effeuillent